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2022
- par
ethiwork
La Fashion Week Parisienne touche à sa fin et boucle un mois de défilés et événements, de capitale en capitale. Le sujet de l’empreinte environnementale et sociale de ces semaines de la mode questionne. En 2019 déjà, le Swedish Fashion Council annulait la Fashion Week suédoise en raison de son impact écologique. Celle-ci a depuis fait son retour, mettant l’accent sur l’engagement des maisons de mode.
Se positionnant comme l’exception qui confirme la règle, la capitale danoise s’illustre par la volonté de devenir « la capitale de la mode responsable », avec des partis pris forts. C’est là un véritable pas de côté par rapport à toutes les autres fashion Week de la période. L'événement a ainsi adopté en 2019 le Sustainability Action Plan 2020 - 2022 pour une politique zéro déchet, un objectif de réduction de 50% de son impact environnemental ainsi que son intention de devenir “une plateforme de changement pour le secteur plutôt qu’un événement traditionnel”. Ayant lieu en amont du classique mois occupé par les semaines à New York, Londres, Milan et enfin Paris, la Copenhagen Fashion Week gagne alors en popularité.
La volonté de s’engager vers une mode plus responsable est également un sujet important dont s’est emparé la Fédération de la Haute Couture et de la Mode (FHCM). Le projet, initié en 2019, a finalement vu le jour en 2021 et correspond au lancement de deux outils d’accompagnement et d’écoconception, réalisés avec le cabinet PwC. Un premier volet lié à la mesure de l’impact de l’événement dans une volonté de réduction de celui-ci, et un second outil relatif aux collections afin de réduire les émissions sur la chaîne de valeur industrielle. À noter que à date, peu de maisons revendiquent l’utilisation de ces outils. D’autres initiatives viennent compléter les efforts de la FHCM, comme la mise en place d’une flotte de véhicules électriques officiels depuis 2020, des bus Paris Fashion Week ® shuttle et autres trottinettes, ou encore des initiatives de valorisation et réemploi des déchets.
Du côté des défilés, des propositions sont formulées pour tenter de minimiser l’impact engendré par ces événements. Cette envie se retrouve auprès d’acteurs de l’organisation de ces événements. Ainsi, le Bureau Betak, spécialisé dans la production et le design de défilés de mode, a obtenu la certification ISO 20121, « l’événementiel pour un développement durable ». Cette norme dit offrir les lignes directrices et meilleures pratiques pour maîtriser l’impact social, économique et environnemental des événements (NDLR Bureau Betak a organisé le défilé polémique dans le désert d’Agafay au sud du Maroc pour Saint Laurent). Des matières plus respectueuses de l’environnement ont aussi fait leur arrivée sur les catwalks. Botter, marque lauréate du grand prix du jury du Festival d’Hyères en 2018, et dont les fondateur.ice.s, Lisi Herrebrugh et Rusemy Botter, ont été recruté.e.s comme directeurs artistiques pour Nina Ricci peu après, a proposé une collection comprenant des vêtements fabriqués, entre autres, à partir d’algues et de plastique recyclé sobrement intitulée “The Plastic Sea”. Stella McCartney, pionnière de l’engagement écologique dans le luxe, a également mis l’accent sur des matières plus propres (87% de tissus éco responsables cette saison) dont le coton régénératif, issu d’une méthode d’agriculture qui permet d’enrichir la terre en parallèle de la production dans une vocation de réparation des sols. Sous l’impulsion de Gabriela Hearst, directrice artistique de Chloé et reconnue pour son engagement en faveur d’une mode responsable, les matériaux à impact réduit représentent 64% de l’offre produits présentée pour le défilé printemps-été 2023 de la maison parisienne. Connus pour leur militantisme et leur prise en compte des enjeux actuels, les élèves de l’école de mode engagée Casa 93 ont aussi pu présenter au Palais de Tokyo leur collection upcyclée “Carjack”, utilisant notamment des tissus invendus des Galeries Lafayette et La Redoute.
Malgré ces avancées notables, l’ensemble du secteur ne s’est pas encore pleinement emparé du sujet. L’article Why is sustainability still absent from fashion month? de Rachel Cernansky pour Vogue Business pointe du doigt un enjeu important : les matières alternatives parfois utilisées par les maisons appartiennent régulièrement à des collections capsules attirant les consommateur.ice.s soucieux de leur consommation tout en restant majoritairement séparées des collections principales. La mode durable et engagée reste ainsi à la marge et n’est pas présentée comme une alternative complète qui puisse intéresser et être consommée par tout le monde.
Au-delà de la production textile, les semaines de la mode sont pointées du doigt pour l’empreinte carbone qui en découle. Trajets en avions, installations énergivores déplacées en camions, courses en voiture de défilé en défilé malgré les navettes électriques affrétées sont autant d’aspects qui font scandale. 241 000 tonnes de CO2 pour une année de Fashion Week selon un rapport Zero Market, dont 147 000 tonnes de CO2 liés aux trajets en avions. Et ce bilan ne prend en compte que les quatre villes principales ainsi que les déplacements des designers et acheteurs. Les médias, créateur.ice.s de contenu et autres influenceurs ne font donc pas partie de ce bilan, ce qui ferait probablement exploser le résultat final au vu de l’affluence habituelle. Pour le moment, seul le recours à la compensation carbone est envisagé pour minimiser l’impact des transports, sans objectif de réduction au préalable… (Chloé s’engage par exemple à compenser les émissions restantes par le biais de projets de compensation carbone). La crise sanitaire et l’annulation des défilés ont entraîné une numérisation de la présentation des collections, l’impact environnemental (pollution numérique, consommation électrique, matériel) subsiste mais une partie des émissions liée aux déplacements a pu être évitée. Depuis, les shows se sont enchaînés, suivis par des rediffusions en ligne. Il semblerait que l’aspect numérique serve d’accompagnement à l’événement plutôt que d’alternative. Enfin, les défilés sont légitimement décriés pour leur manque d’inclusivité. Ainsi, même si des marques comme Ester Manas proposent une meilleure représentation et une démocratisation des corps, les fashion week ne s'illustrent pas toujours par le body positive et la diversité.
Des voix issues de mouvements de contestation se sont levées, des instigatrices de « Fashion Week durable » montent au créneau et des événements « Anti-Fashion week » voient le jour. Néanmoins, la fashion week telle que nous la connaissons reste un des facteurs de réussite des capitales de la mode et n’est pas près de disparaître. Les initiatives responsables, encore timides et en marge des défilés, sont toutefois de plus en plus présentes. Un véritable changement de paradigme aura lieu lorsque les engagements environnementaux et sociaux feront partie intégrante de chaque réflexion, et non plus réservés comme des collections capsules. La haute couture se doit de se réinventer sans perdre sa créativité, en offrant des imaginaires non normatifs, en continuant à s’inspirer de la nature tout en la respectant et en allouant une partie de ses marges à des projets de réemploi, de réinsertion, de régénération et d'innovations responsables.